2/25/2018

Hyperbole

Laissons de côté les églises, qui vont disparaître*, pour nous recentrer sur l'Evangile, dit l'Ethnologue. Que dit-il du sexe? Le passage essentiel est Marc, chapitre 10. Ce chapitre traite de l'ancien et du neuf: qu'est-ce que l'Evangile apporte de nouveau, d'original, etc. Marc, chapitre 10, se construit sur deux grandes paroles: l'une relative au sexe, l'autre à l'argent. La première dit: "Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni"**. Et la seconde : "Ce que tu as, vends-le, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel"***. Ce sont deux préceptes extrêmes. Faut-il les prendre au pied de la lettre? Encore une fois, Marc, chapitre 10, forme un tout. Autrement dit, ces deux paroles s'éclairent l'une l'autre. Si l'une est prise au pied de la lettre, l'autre aussi doit l'être. Et inversement. Personnellement, je pense que le second précepte ("Ce que tu as, vends-le, etc.") n'est pas à prendre au pied de la lettre. C'est juste une manière de dire: ne vous laissez pas asservir à l'argent. Prenez vos distances par rapport à ça. L'auteur recourt ici à une hyperbole. "L'hyperbole, dit La Bruyère, exprime au-delà de la vérité pour ramener l'esprit à la mieux connaître"****. C'est le cas en l'occurence. Ce précepte "exprime au-delà de la vérité pour ramener l'esprit à la mieux connaître". Il en va de même du premier précepte ("Ce que Dieu a uni", etc.). Divorcer ou ne pas divorcer, quelle importance. Ce qui compte, c'est le rapport au sexe. Ne pas en abuser. Garder ses distances. Comme pour l'argent.

* Voir "L'autel (1)", 27 Janvier 2018.
** 10, 9.
*** 10, 21.
**** Les Caractères, "Des Ouvrages de l'esprit", 55.

2/20/2018

Craquent

Pardonnez-moi, mais il enfonce des portes ouvertes, dit le Sceptique. Il dit* qu'on est dictature. Quelle grande nouvelle. Il nous en apprend des choses. Qu'on soit en dictature, tout le monde le sait très bien. Il évoque la non-séparation des pouvoirs entre le législatif et l'exécutif, le fait que le législatif se soit transformé en simple chambre d'enregistrement. Là encore, il dit des choses connues de tous. C'est ce qu'on observe en France, mais pas seulement en France. Voyez la Suisse, l'Allemagne, etc. Quant à la justice... Avez-vous déjà vu un juge désobéir aux ordres venus d'en haut? Le pouvoir exécutif est aussi séparé du pouvoir judiciaire qu'il ne l'est du pouvoir législatif. Il faut être bien naïf pour croire le contraire. Personne d'ailleurs ne le croit. Parlons maintenant des médias. Qui croit encore à l'indépendance des média: vous y croyez, vous? Lisez un peu le Journal, écoutez l'Emission. Elle est belle, leur indépendance. On pourrait développer si vous le voulez, mais je n'en vois pas vraiment la nécessité. Tenez, en revanche, ça tombe bien. Ce matin même, on a publié les statistiques des arrêts-maladie. Elles ont augmenté de 8 % par rapport à l'année précédente. Les gens n'en peuvent plus de travailler comme on les y contraint aujourd'hui. A ce rythme. Toujours plus de tâches en des temps toujours plus resserrés. Et donc ils craquent. C'est cela aussi, la dictature. Tout se tient, il est vrai.

* Laurent Wauquiez, le président des "Républicains".



2/08/2018

Juste un peu (3)

Voilà à quoi mène le complotisme, dit l'Activiste. On comprend mieux, en vous écoutant, les raisons qui ont pu conduire le président à créer ce nouveau délit: le délit de fabrication de fake news. J'ose espérer, comme il l'a promis, que les peines encourues seront suffisamment dissuasives. Si je puis me permettre, vous confondez avec le harcèlement de rue, dit l'Etudiante. Le président ne parlait pas des fake news, mais du harcèlement de rue. C'est à ce propos qu'il a dit que les peines encourues devaient être suffisamment dissuasives. C'est la même chose, dit l'Activiste. Vous serez d'accord, je pense, avec moi pour dire que les fake news sont une forme de harcèlement. L'inverse aussi, d'ailleurs. Bon, je m'emmêle un peu ici les pinceaux. C'est de votre faute. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Vous voulez rétablir la peine de mort, dit l'Etudiante? Nous avons une responsabilité à l'égard des jeunes générations, dit l'Activiste. On ne saurait les laisser lire ou avaler n'importe quoi. Cela pollue le débat démocratique. En principe, je suis contre. Mais il faut toujours prévoir des exceptions. Autrement, trente ans. La loi devrait également être rétroactive. Sans limite de prescription, bien entendu. La parole se libère, dit l'Ecolière.






2/07/2018

Juste un peu (2)

Ils sont dans le rôle, dit l'Ethnologue. Quoi là d'anormal. Cela remonte même à assez haut dans le temps: "Directement ou indirectement, les lois s'opposent toujours à la liberté du mouvoir, elles opposent le mû au mouvoir des personnes. Le mû, c'est l'essence construite du pouvoir sur l'autre; son ultime conséquence, c'est l'immobile, la mort infligée. La montée de l'Etat occidental, ce n'est que l'expansion de son étant contre tout existant, la production et la reproduction de son champ de stratagèmes, champ artificiel créé entre les pôles opposés du mouvoir et du mû, et qui aujourd'hui n'est plus seulement celui d'une armée, d'une police, d'une administration, mais celui de l'ensemble planétaire"*. On en est là aujourd'hui. On ferme aujourd'hui les jardins publics. Demain ce seront les forêts elles-mêmes qui seront interdites d'accès. Les montagnes. Cela a d'ailleurs déjà commencé. Faites un peu le compte de l'ensemble des endroits aujourd'hui interdits d'accès, pour une raison ou une autre (militaire, écologique, industrielle, sanitaire, etc.). A quoi, par ailleurs, croyez-vous que sert le loup archi-protégé, dont la présence est maintenant signalée à proximité immédiate de certaines zones habitées? Très certainement à encourager les gens à sortir de chez eux.

* Paul Virilio, L'insécurité du territoire, Galilée, 1993, p. 81.

2/06/2018

Juste un peu (1)

Tiens, dit le Collégien. Ils sont à nouveau en édition spéciale. La dernière fois, c'était à cause du décès d'une chanteuse des années 60. Un événement cosmique, n'est-ce pas. Aujourd'hui, c'est à cause de la neige. Je n'ai rien contre la neige, encore moins contre les années 60, mais certaines choses ne sont-elles pas plus importantes? Précisément, dit l'Avocate. Pendant que les gens pensent à la neige ou aux années 60, ils ne pensent pas au reste: aux petits chéris, par exemple. Ou encore à l'article 20 de la loi de programmation militaire de 2014, qui légalise l'espionnage généralisé. En fait, ils ne pensent pas. C'est ça le but: empêcher les gens de penser. Si, en effet, les gens se mettaient un peu à penser, juste un peu, les dirigeants auraient peut-être la tâche moins facile. On appelle ça un dérivatif. Autre chose encore. Tu as vu qu'ils insistent beaucoup, ces jours-ci, pour que les gens ne sortent pas de chez eux: "Restez chez vous, ne prenez pas de risques inutiles", etc. Ce ne sont encore que des conseils. Mais demain cela pourrait devenir des ordres. D'autres, avant moi, l'ont relevé: "Les responsables ferment d'ores et déjà tout jardin public, dès lors que le moindre coup de vent s'annonce qui pourrait faire tomber une branche sur la tête d'un malheureux... Cette dérive imbécile ne cesse d'enfler jour après jour. On peut donc être assuré que l'interdiction de sortie de chez soi est pour demain et non pas après-demain!"* Cette dérive n'a rien, en fait, d'imbécile. Elle est tout à fait pensée, délibérée.

*François de Bernard, L'Homme post-numérique, Yves Michel, 2015, p. 79.