10/05/2015

En contrepartie


Mme … tient le même discours, en fait, qu'Antigone, dit l'Avocate: justice, lois non écrites, etc. Sauf, bien évidemment, qu'elle n'est pas Antigone. Elle n'est que Créon essayant de se faire passer pour Antigone. Ce n'est pas la même chose. Prenons la pièce de Sophocle. Créon a peut-être beaucoup de défauts, mais il faut au moins lui reconnaître une vertu : il ne ment pas. Tout ce qu'il dit, il le pense vraiment. A aucun moment, en particulier, il n'essaye de se faire passer pour Antigone. C'est Antigone qui parle des lois non écrites, non Créon. Les rôles sont ainsi bien séparés. Le spectateur sait très bien qui est qui. A notre époque, en revanche, beaucoup moins. Les lois non écrites se sont aujourd'hui transformées en instruments de pouvoir, occasionnellement, même, de guerre (contre Antigone, justement !). Les dirigeants mentent sur les lois non écrites, comme ils mentent sur le reste: l'économie, l'Ukraine, le Moyen-Orient, l'immigration, le terrorisme, etc. En ce sens, il faudrait peut-être réécrire la pièce. On y verrait Créon et son officier traitant, Créon et ses conseillers en communication, Créon participant à une opération de sauvetage en Méditerranée, Créon armant et finançant en sous-main un certain nombre d'organisations qu'il fait semblant, en surface, de combattre, etc. En contrepartie, il est vrai, Antigone se met parfois à tenir le langage de Créon: "Nous défendons deux mille ans de souveraineté"*. On est à front renversé.

* Déclaration du premier ministre hongrois (Le Figaro, 15 septembre 2015).